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La nostalgie de l'amitié
Marcel Arland est presque totalement oublié. C’est dommage car c’était à la fois un bon écrivain et un personnage très estimable par son honnêteté et sa générosité. Je comprends qu’on déserte la fréquentation de ses premiers livres trop marqués par leur époque. Mais il a écrit aussi des pages qui resteront, traversant les modes ; notamment sur l’amitié, sur le souvenir de l’amitié. « Ce fut ainsi » transpire d’impressions fugitives, « délivrant une rêverie sentimentale sur toute une vie ». Parmi les amitiés de ce personnage d’allure modeste et qui fut pourtant si influent figurent certains des plus grands du monde culturel de son siècle, des écrivains comme Malraux ou Drieu La rochelle ou des peintres comme Rouault ou Marie Laurencin. Penchons-nous un peu sur Malraux, le plus vieil ami de Marcel Arland. Ils se sont connus dès 1921 ou 1922, à l’aube de leurs vingt ans. Sans Marcel qui a mobilisé le monde intellectuel pour une pétition de défense d’André Malraux lorsque celui-ci avait été condamné par le tribunal de Phnom Penh en 1924 pour vol de statues khmères, le futur auteur de la Condition humaine aurait peut-être vu sa peine de trois ans de prison confirmée en appel. Dans Le Journal littéraire, il écrivait : « Tel est ce jeune homme dont on voudrait faire un ambitieux sans cœur et sans scrupules. J’imagine que, Rimbaud quittant la France, on l’appelait aussi un aventurier sans cœur. Avant de juger cette aventure, il est nécessaire de la comprendre. Nous demandons à tous ceux qui ont connu André Malraux de se joindre à nous, et de tout faire pour éviter qu’une condamnation vienne l’empêcher d’accomplir ce que nous sommes en droit d’attendre de lui. » A Pontigny où on l’accueille, Arland réunit une bonne douzaine de signatures parmi lesquelles celles de Gide, de Maurois, de Soupault, d’Aragon qu’il enverra par câble à Saigon avant le procès en appel. Le nouveau verdict tombe, plus clément : un an avec sursis. Les deux amis se revoient au retour en France d’André. "Après l’absence, l’aventure, le procès et tout, ce garçon, le voici devant moi. C’est lui, plus maigre, les yeux plus sombres, la voix plus sourde, et dans la voix, comme sur le visage et sur les mains de brusques crispations." Malraux évoque les marches dans la jungle, le combat, les splendeurs découvertes, « comprenez-vous ? ». A la fin du diner, il murmure : « il y avait encore autre chose ». Cette amitié connaîtra ses éclipses. Arland ne le mentionne pas mais après le divorce d’André et de Clara il restera très lié avec cette dernière, « femme des coups de tête et de la plus tenace obstination » dont il avait craint un moment qu’un instinct de possession ne la rendît jalouse. Malraux ne lui pardonnera que difficilement. Comment deux hommes si différents ont-ils pu développer une si belle amitié : ce qui plaisait à Arland dans Malraux, ce n’était pas « son souci de la figure, ni le goût d’étonner et de séduire, mais avant tout sa fièvre, son impétueuse révolte. » Le texte consacré à Drieu est plus bref et contredit le proverbe selon lequel les amis de mes amis sont mes amis. Arland n’a jamais été l’ami de Drieu. Mais son suicide le bouleversa. Ils avaient fait des efforts l’un vers l’autre. Sans dépasser cette retenue qui les guindait. Drieu lui avait écrit : « Le ton de votre vie est fort différent du ton de la mienne. Et pourtant je me suis senti certaines affinités avec vous quand je vous ai rencontré chez Malraux ; c’est pourquoi sans doute j’avais envie de vous plaire. » Durant la guerre, Arland ne lui pardonna pas d’avoir repris la NRF en remplaçant Paulhan. Drieu pour sa défense affirmait qu’il n’avait pris cette décision que parce que Gide, Valery, Morand et Eluard lui avaient promis leur collaboration et qu’il ne tolérerait aucune immixtion dans la Revue. « Je n’ai jamais mis en doute la sincérité de Drieu, mais il avait plus d’obstination que de clairvoyance. » Et plus loin : « Malgré les divergences de nature, les heurts et certaines oppositions fondamentales – il y a en lui quelqu’un qu’on ne peut s’empêcher d’aimer. » Sur Marie Laurencin, Arland écrit aussi de très belles lignes. « Il n’est pas facile de vieillir. Il y faut un don. Marie Laurencin l’avait reçu, mais sans en perdre la fraîcheur. » Il décrit le contraste qu’elle présente un peu rondelette, assez corpulente, vite essoufflée, très myope, avec la photo d’elle où elle figure maigre et piquante derrière Guillaume Apollinaire. Mais je n’en finirai pas de citer tous ceux qui défilent dans ce livre., de Gaston Gallimard à Paulhan ; mais aussi des gens restés dans l’ombre comme ses collègues durant la courte période où il fut professeur. Le dessin est toujours net, jamais outré, jamais agressif. Arland n’a de comptes à régler avec personne. A côté de ces portraits, on trouve aussi des paysages, lieux qu’il a fréquentés ou qui ont constitué son cadre familier. Toujours esquissés avec douceur, avec modestie dans une nostalgie qu’il nous fait partager comme témoins de sa vie. Il est vraiment dommage que ce beau livre n’ait pas reçu un meilleur accueil.
Yvon - Le 11 mai 2025 à 10:55