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Mobilités, catégorisation et appartenance. Un défi de réflexivité / Anne Friedrichs
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A l'automne 2017, l'artiste Ai Weiwei, alors installé à Berlin, présentait son documentaire "Human Flow" à la Mostra de Venise. Les réactions, nombreuses, furent à la hauteur de la controverse suscitée, en 2016, par une photographie sur laquelle l'artiste se représentait sur un rivage de l'île de Lesbos, en Grèce, dans la même position qu'Aylan Kurdi, un petit garçon syrien fuyant son pays, dont le corps sans vie avait été retrouvé sur une plage de Bodrum, en Turquie, en septembre 2015. Les critiques reprochaient à Weiwei de ne guère se soucier des réfugiés et d'exploiter leur sort pour se mettre en scène comme un intellectuel politiquement engagé et faisant preuve d'empathie. En revanche, pour d'autres commentateurs, "Human Flow" résonnait comme un manifeste humaniste en faveur d'une politique mondiale pour traiter la question des réfugiés. Selon eux, l'artiste avait su trouver un juste milieu entre la couverture la plus exhaustive possible de leurs mouvements sur la planète et la contemplation plus personnelle de visages singuliers : il était parvenu, en alternant vues du ciel et gros plans, à illustrer la monotonie et la souffrance permanente propres à tant de lieux sur la planète. Les controverses autour du travail de Weiwei dépassent les réactions ponctuelles que peut susciter une intervention artistique. Elles sont le reflet d'un débat de fond dans l'hémisphère nord que l'éclatement de la crise des réfugiés en 2015 a relancé. Ce débat tourne autour de deux questions : est-il possible, et approprié, de décrire et de représenter politiquement les mobilités humaines et les personnes en déplacements ? Et si oui, comment procéder sans reproduire une opposition manichéenne entre le " nous " et le " eux ", notions souvent chargées d'affects ?
Voir le numéro de la revue «Annales, 76-3, 01/07/2021»
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