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Servitude et travail à la fin du Moyen Age : La dévalorisation des salariés et les pauvres "peu méritants" / Giacomo Todeschini
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Par l'analyse qu'il fait de la fausse méritocratie comme argument utilisé par les économistes néolibéraux pour justifier les inégalités économiques croissantes, Thomas Piketty sollicite, dans "Le capital au XXIe siècle", une réflexion des historiens à propos de la représentation des salariés aussi bien dans la pensée économique que dans les politiques administratives des époques préindustrielles en Occident. Ce regard porté sur ceux que la tradition textuelle théologique, économique et gouvernementale appelait les mercenarii, c'est-à-dire les salariés, révèle que, à partir du XIIIe siècle, l'Europe chrétienne des élites alphabétisées a interprété le travail manuel comme le signe d'une compétence utile et en même temps dévalorisante d'un point de vue social et politique. L'ancienne idée romaine du salaire comme auctoramentum servitutis, preuve d'une servitude, réapparaît sous une forme réélaborée à la fin du Moyen Age en se transformant en un discours complexe organisé par les juristes, les théologiens et les pouvoirs locaux sur l'incompétence intellectuelle et la nécessaire marginalité politique des salariés en tant que travailleurs manuels. L'idée selon laquelle le travail salarié signale une condition de servitude et de manque d'intelligence caractérise au début de l'époque moderne autant les oeuvres littéraires que la rationalité économique dominante représentée par les premiers économistes scientifiques .
Voir le numéro de la revue «Annales, 70-1, 01/01/2015»
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